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SHARON, ARAFAT ET MAO
Thomas L. Friedman *Editorialiste au New York Times et ancien correspondant de ce journal au Liban et en Israël
Il y a plusieurs semaines, jai assisté, à Davos, au Forum de lÉconomie Mondiale, où jai croisé Shimon Pérès. Lun des reporters qui laccompagnait ma demandé si jallais écouter les discours de Shimon Pérès et de Yasser Arafat devant le millier dinvestisseurs et ministres du monde entier présents à Davos. Jai répondu par la négative, car jai un principe strict : je ne mintéresse quaux déclarations de Yasser Arafat en arabe devant son propre peuple. " Cest vraiment dommage ", dit le reporter, " parce qu'on connaît la suite : Shimon Pérès va tendre un rameau dolivier à Yasser Arafat, ce dernier va en faire autant et le festival amoureux sera diffusé en Israël pour donner du tonus au processus de paix et à la réélection dEhoud Barak ". " Eh bien, je regarderai ça à la télé ", lui ai-je répondu.
Comme prévu, Shimon Pérès a tendu un rameau dolivier, mais Yasser Arafat la brûlé. Lisant un texte tout prêt en arabe, Yasser Arafat a dénoncé Israël pour son " agression militaire fasciste ", son " expansionnisme colonialiste armé " et sa politique " criminelle, de persécution, dassassinat, de destruction et de dévastation ".
La performance de Yasser Arafat à Davos a constitué un événement original et fondamental pour comprendre pourquoi Ariel Sharon a été élu à une majorité écrasante. Que signifiait le discours de Yasser Arafat, tandis que Shimon Pérès était assis à côté de lui ? Tout dabord, il voulait dire quil ny avait aucune différence entre Ehoud Barak et Ariel Sharon. Parce que prononcer un tel discours à la veille des élections israéliennes, à la suite de loffre de dernière minute dEhoud Barak de conclure un compromis final avec les Palestiniens à Taba transformait loffre très généreuse de Barak à Arafat en une chose dérisoire. En outre, Yasser Arafat était en train de dire quil ny avait aucune différence entre Shimon Pérès et Ariel Sharon, parce que prononcer un tel discours juste après les paroles chaleureuses de Shimon Pérès laissait en effet penser que ce dernier aurait été dupé, comme lont rapporté tous les journaux israéliens. Finalement, à un moment où les Palestiniens sont privés de travail, le message subliminal de Yasser Arafat aux investisseurs internationaux était : " Garder vos distances !"
Cest pourquoi la presse pose la mauvaise question à propos de lélection dAriel Sharon. Ils demandent : qui est Ariel Sharon ? alors qu il aurait fallu demander : qui est Yasser Arafat ? La presse se demande également : Ariel Sharon va-t-il devenir un nouveau Charles De Gaulle, le général pur et dur qui a fait sortir larmée française dAlgérie ? Ou sera-t-il un Richard Nixon, lanticommuniste qui a fait la paix avec la Chine communiste ? Ces questions sont totalement hors sujet.
Pourquoi ? Parce quIsraël a eu son De Gaulle. Il sappelait Ehoud Barak. Barak était le soldat israélien le plus décoré. Il sest abstenu lors du vote du Conseil des Ministres sur les accords de paix dOslo II. Mais une fois en fonction, il a opéré un revirement à 180°. Il a offert à Yasser Arafat 94% de la Cisjordanie pour un Etat palestinien, plus une compensation territoriale pour la majorité des 6% restants, plus la moitié de Jérusalem, plus la restitution et la réinstallation en Palestine de réfugiés palestiniens. Et Yasser Arafat a non seulement dit non à tout cela, mais il a traité Israël de " fasciste ", au moment où Ehoud. Barak se battait pour être réélu. Cest comme si De Gaulle avait offert de se retirer dAlgérie et que les Algériens lui auraient dit : " Merci. Vous êtes un fasciste. Nous allons, bien entendu, prendre toute lAlgérie, mais nous ne mettrons pas fin à ce conflit tant que nous naurons pas également obtenu Bordeaux, Marseille et Nice. "
Si les Palestiniens se moquent de savoir qui est Ariel Sharon, pourquoi devrions nous nous y intéresser ? Si Yasser Arafat voulait un dirigeant israélien qui ne le contraigne pas à prendre dimportantes décisions quil est incapable de prendre, pourquoi devrions-nous nous demander si Ariel Sharon sera un nouveau De Gaulle et lui faire une importante proposition ? En quoi est-ce bon pour Israël davoir un Nixon si les Palestiniens nont pas un Mao ?
Les accords dOslo sur le processus de paix étaient une sorte de test. Il sagissait de tester si Israël avait un partenaire palestinien avec lequel parvenir à une paix sûre et définitive. Cétait un test quIsraël pouvait se permettre, que la majorité des Israéliens voulaient, et quEhoud Barak a courageusement porté jusquaux limites du consensus politique israélien, et même au-delà. Yasser Arafat a raté cette occasion. Finalement, les Palestiniens demanderont un nouveau test. Et, en fin de compte, les Israéliens pourraient accepter de le leur accorder, sils y voient une nouvelle chance den finir avec ce conflit. Mais qui sait par quelle violence et par quelles souffrances faudra-t-il passer entre temps ?
Tout ce que nous savons, cest quaujourdhui, le test dOslo appartient au passé. Cest ce quune vaste majorité dIsraéliens a dit lors de ces élections. Alors cessez donc de demander si Ariel Sharon sera un nouveau De Gaulle. Ce nest pas pour cela que les Israéliens lont élu. Ils lont élu pour quil soit un Patton. Ils ont élu Ariel Sharon parce quils savent exactement qui il est, et parce que sept années dOslo leur ont enseigné très exactement qui est Yasser Arafat.