« Les nouveaux visages, rouge et vert, de lantisémitisme »
Par Alexandre del Valle*
Après le 11 septembre 2002, une idée à notre avis fort dangereuse, a germé dans les conscients et inconscients collectifs « stokholmisés » de nombreuses âmes européennes, à savoir la conviction selon laquelle, en fin de compte, « la colère » de Ben Laden, des Islamistes et des Arabes-Palestiniens-Irakiens, etc en général, est en partie compréhensive et nest peut être que la conséquence de « larrogance » américano-occidentale et du « colonialisme-raciste » israélien, Al Qaïda ou le Hamas ayant voulu « venger » la misère des enfants irakiens et le « martyr du peuple palestinien ». Aux termes de ce terrible raccourci exonérateur, la barbarie islamiste, la nature totalitaire de cet « obscurantisme vert », en ressortent niées, oubliées, occultées.
Syndrome de Stokholm et instrumentalisation-retournement de la Shoah au service du Totalitarisme islamiste
Daprès nous, ce phénomène consistant à trouver des circonstances atténuantes aux bourreaux et à accabler les victimes, trouve en partie ses origines dans une forme renouvelée de haine antijuive doublée dune haine de soi de la part des populations occidentales déchristianisées. Celles-ci voient dans lislamisation progressive de leurs sociétés une sorte de rédemption-punition visant à expier les fautes passées : Croisades, Inquisition, colonialisme, impérialisme, Shoah, etc, le « sionisme » apparaissant, quon en soi solidaire ou non, au sein des représentations arabo-islamiques et dextrême-gauche, comme la continuation et lincarnation moderne la plus éclatante de larrogance européenne et occidentale. Une forme dautant plus détestable et à combattre quelle constitue, avec lAmérique WASP, la partie la moins culpabilsée et la plus apte à se défendre de la civilisation occidentale, lEurope semblant avoir dores et déjà renoncé à demeurer dans lHistoire (exceptée peut être la Russie de Poutine). Dune certaine manière, la haine anti-sioniste et anti-américaine primaire, propre à une certaine gauche radicale, exprime le sentiment de haine de soi et de désir de mort propre aux sociétés déclinantes, ainsi que la fort bien montré Soljénitsyne dans son discours de Harvard de 1978.
Nous nous attarderons en particulier au cours des lignes qui suivent sur le thème de la nouvelle judéophobie, dans la mesure où - paradoxe apparent, seulement - ce sont ceux là même qui ont le plus instrumentalisé la Shoah et les douleurs du peuple juif, à savoir lextrême gauche et la gauche internationaliste en général, qui oeuvrent le plus aujourdhui dans le sens dune diabolisation des Juifs, via lEtat dIsraël et le sionisme dont ces derniers sont solidaires, relayant ainsi directement les thèmes de propagande dOussama Ben Laden qui na pourtant jamais été préoccupé par le sort des Palestiniens.
Daprès nous, la plus haute forme de judéophobie post-holocauste consiste à retourner la Shoah contre ses victimes historiques juives : Israël, assimilée à un « Etat fasciste », est accusée de perpétrer une nouvelle Shoah contre les Palestiniens, qui ont traduit Shoah par Naqbah (« catastrophe » en arabe et en hébreux) et commémorent leur « catastrophe » (la création dIsraël) à la même date, cependant que la Shoah est profanée puis utilisée comme principe de délégitimation-disqualification définitive du fait national et de la civilisation occidentale judéo-chrétienne en général rendus responsables originels de la Shoah. La récente surenchère médiatico-politique contre lEtat dIsraël et le Sionisme, voire contre les Juifs tout court, accusés dêtre solidaires de la politique « fasciste » de Sharon, aura au moins permis de désocculter et révéler au grand jour lextraordinaire perfidie et les arrières pensées judéophobes des antisionistes dextrême gauche, premiers complices idéologiques du nouveau Totalitarisme islamiste lancé à lassaut des démocraties occidentales, et maîtres suprêmes en hypocrisie puisque leur démagogique judéophilie tactique et orientée masque en fait une judéophobie « relookée » et sournoise.
La mutation « progressiste » du virus antisémite
Au moment où paraît le dernier livre de Pierre André Taguieff, La nouvelle judéophobie (Fayard), livre magistral identifiant les deux principaux foyers de la nouvelle haine anti-juive dans lextrême gauche et les mouvances nationalistes arabes et islamistes, il apparaît opportun de clarifier un certain nombre de concepts et didées, à commencer par la notion même dantisémitisme, à la fois si ambivalente et porteuse de confusions. Car, en ce qui concerne le sujet qui nous intéresse tout particulièrement, la judéophobie dorigine arabo-islamique ou exprimée chez les tiersmondisme de gauche avec le prisme de « lantisionisme », lutilisation même du terme antisémitisme permet aux anti-juifs musulmans et à leurs complices objectifs pro-arabes et pro-palestiniens dextrême gauche de rétorquer : « nous ne pouvons pas être antisémites, puisque les Arabes sont plus sémites encore que les Juifs, souvent dorigine européenne comme les Ashkénazes, nous ne sommes quantisionistes ». Parler de « nouvelle judéophobie » permet dinvalider cette argumentation sémantique habile pour aller droit au but.
Il va sans dire que le traditionnel antisémitisme (entendu ici comme haine anti-juive) dessence racialiste (Edouard Drumont, conceptions nazies, etc) ou catholique (maurrassisme, doctrine des Juifs « déicides », etc), tel quil a pu se manifester et surtout sexprimer jusqu'à la seconde guerre mondiale, nexiste plus en France et en Europe, les Chrétiens ayant globalement abandonné les théories relatives aux Juifs déicides tandis que lantijudaïsme racialiste à la Rosenberg nest plus le fait que de groupuscules extrémistes aussi ridicules que marginaux, incapables de nuire physiquement aux Juifs et souvent même discréditées au sein même de leurs familles politiques. Comme nous le confiait récemment le Président dAvocat Sans Frontières, William Goldnadel, auteur dun essai remarquable et fort politiquement incorrect Le nouveau bréviaire de la haine (Ramsay), cest principalement « au nom de lextrême gauche terroriste (Action Directe, Groupe Carlos, Bande à Baader, Armée Rouge japonaise, etc) et de lIslamisme ou du nationalisme arabo-palestinien (Gamaà, Al Qaïda, GIA, Jihad islamique, Hezbollah, Hamas, etc) qua coulé le sang juif ces vingt dernières années, et non au nom de lextrême droite, fusse-t-elle antisémite ». Cette affirmation, prouvée et développée en détails dans les deux livres précités, mérite dêtre méditée, car on na jusqu'à maintenant jamais parlé que des formes extrême-droitières de la judéophobie, les très nombreuses agressions de Juifs constatées depuis le déclenchement de lIntifada Al Aqsa en France et en Europe nayant point suscité dindignation publique de la part de nos intellectuels, hommes politiques ou médias comme cela fut au contraire le cas lors de « laffaire Carpentras ».
Comment expliquer une telle dyssimétrie, un tel deux poids deux mesures ? Pourquoi un juif tué ou agressé par lextrême gauche ou des « jeunes » arabo-musulmans serait-il moins victime et moins à défendre quun Juif agressé et tué par lextrême droite ? La raison est en fait assez évidente. Dans les représentations dune certaine gauche sartrienne, trotkyste, mondialiste et tiersmondiste à la Foucault, les Juifs ont toujours été choyés démagogiquement et instrumentalisés parce quils étaient perçus exclusivement comme des victimes apatrides persécutées par le nationalisme et par lEtat-nation en général, Foucault ayant affirmé quil nexiste quune différence de degré, non de nature, entre la nation et le nazisme. Si bien que sest développée une équivalence infernale assimilant la Nation, lEtat et lordre au fascisme et même au nazisme, donc au Mal absolu, à abattre au moyen du radicalisme révolutionnaire mondialiste. Toute cette idée est exprimée à travers lexpression terriblement dévastatrice « CRS SS ». Mais dès lors que les Juifs, voulant par là résoudre définitivement la question antisémite avec le sionisme puis menant à bien cette aventure avec la création de lEtat juif en 1948, accèdent à nouveau à une dimension stato-nationale, bref, dès lors quils sidentifient à un Etat, qui défend jalousement ses frontières (notamment depuis la date charnière de 1967) et fait régner un Ordre, jusqu'à être fier de son armée - et quelle armée - (ce qui bat en brèche le mythe du Juif pleutre et réfractaire à la chose militaire) et de son uniforme (horreur absolue puisque les Nazis portaient luniforme !), la figure du Juif intrinsèquement apatride, dont la douleur est instrumentalisée sans vergogne pour justifier les thèses marxistes anti-nationales et révolutionnaires, disparaît, au profit dune nouvelle victime apatride, dune nouvelle figure victimaire essentialisée sans Etat: le Palestinien, lArabe, le Musulman. Or si lArabe est la nouvelle victime absolue sans Etat et le Juif israélien le/son nouveau bourreau-nationaliste par excellence, et si lincarnation la plus « arrogante » de la réalité nationaliste « blanche » apparaît être Israël, on assiste à un véritable renversement des rôles selon lequel lArabo-musulman est le « nouveau juif » exotique victime du racisme blanc et le Juif sioniste « le nouveau nazi-raciste ». Ce nouveau mythe répulsif sexprime à travers ce syllogisme accablant : « Israël est un Etat fasciste et raciste ; les Arabes sont ses victimes innocentes ; or les Juifs sont massivement solidaires de cet Etat soumis à la reductio ad Hitlerum ; donc les Juifs sont des racistes et des Nazis »... Les nouveaux visages de lantisémitisme « relooké » ne sont donc plus seulement bruns, mais de plus en plus verts. Les Juifs incarnent aujourdhui, à travers Israël, le camp de « loppression colonialiste » et nationaliste, les Palestiniens étant quant à eux les « rebelles-opprimés » par excellence, les nouveaux David arabes luttant le Goliath Tsahal, les nouvelles victimes musulmanes a priori, essentielles, donc jamais réellement coupables, même lorsquelles optent pour la barbarie terroriste, puisque certains trouvent des excuses et des circonstances atténuantes à Ben Laden, au Hezbollah ou au Hamas. Ces nouvelles victimes essentielles vertes, « humiliées » par limpérialisme « américano-sioniste » ne font en effet que « résister » contre un Etat hébreux « fasciste », incarnant le nouveau Mal fascistoïde absolu.
Tel quelle sexprime en France et en Europe, cette nouvelle judéophobie est sans conteste bien plus sournoise que lantisémitisme de lentre deux guerre, dans la mesure où elle se cache derrière de nouveaux habits légitimateurs « progressistes » (tiersmondisme, anti-racisme, anti-impérialiste, islamophilie, xénophilie sélective, gauchisme révolutionnaire, etc), et tend à se présenter comme une réaction face au « racisme sioniste », que daucuns voulaient condamner unilatéralement à Durban. Là, se déroula cet été une incroyable conférence mondiale initialement prévue pour condamner toutes formes de racisme et desclavagisme et qui tourna, sous la pression des nations musulmanes du tiersmonde, au tribunal anti-occidental et antisioniste, seuls les racismes européen et israélien puis lesclavage occidental ayant été identifiés et condamnés. On réhabilitera alors la résolution de lONU assimilant le sionisme au racisme, comme si les Etats islamistes et esclavagistes du Golfe, sans parler du Soudan génocidaire ou du Nigéria, nétaient pas encore plus racistes que le seul Israël quon le veuille ou non démocratique.
Quon le veuille ou non, les nations musulmanes du monde entier sont de plus en plus gagnées par lidéologie revancharde et haineuse de lislamisme, pour lequel la totalité des maux dont souffrent les ploutocraties du Dar al Islam sont dus à égalité aux «croisés-colonisateurs » européens et aux « américano-sionistes », doù lexpression chère à Ben Laden : « les Juifs et les Croisés ». Dans le monde islamique comme en Occident, qui abrite désormais des millions de Fidèles dAllah, lorsque les jeunes musulmans fanatisés par les propagateurs du nouveau « totalitarisme vert » ne passent pas à lacte, on les entend se réjouir du terrible sort des victimes, en grande partie juives, de lattentat du World Trade Center et du Pentagone, tandis que dautres, apparemment moins violents, rebaptisés « jeunes », peuvent crier sans vergogne « Mort aux Juifs » place de la République, lors de manifestations « antisionistes » et « antiracistes » (octobre 2001), sous les habits légitimateurs et déculpabilisants du MRAP (partie prenante à la fameuse manifestation pro-palestinienne où lon entendit des appels à la haine antijuive) et de lextrême gauche « antisioniste ». Cette dérive récente, fruit de la renonciation de la République à combattre lintolérance islamiste et à promouvoir une réelle politique dintégration, à laquelle on a dangereusement préféré une logique communautariste faisant le lit des islamistes, risque de réserver, dici les prochaines années, de funestes surprises.
Comme on le constate chaque jour, lantisémitisme ne sévit plus uniquement dans les couloirs explicitement haineux de lantisémitisme racialiste, puisque cest désormais lextrême-gauche et toute une partie de la gauche qui renoue, sous prétexte de dénoncer les outrances passées et présentes de Sharon, mélange de « Lepen juif » et de « Milosevic israélien », avec un « antisionisme radical » que lon croyait dépassé depuis la fin des « années de plomb » (âge dor du terrorisme antisioniste dextrême gauche) et qui légitime de facto lantisémitisme et le totalitarisme arabo-islamistes. On se souvient également de Lionel Jospin, caillassé, rappelé à lordre par le Quai dOrsay et ses camarades du PS, après avoir osé dénoncé la nature terroriste du Hezbollah, officiellement consacré « force de résistance » contre Israël. Ou encore dun rapport interne du PS rédigé par le « monsieur géopolitique » du Parti socialiste, Pascal Boniface, exortant la Gauche dabandonner progressivement lélectorat juif (700 000 personnes à tout casser) au profit de lélectorat arabo-islamique, potentiellement équivalent à 5 millions dâmes... Dautres, comme Noël Mamère, Alain Gresh du Monde Diplomatique, et tout un pan de la Gauche verte et radicale, expliquent en grande partie la barbarie du Hamas et de Ben Laden par le soutien occidental à Israël et lalignement européen sur les Etats-Unis. En vertu de cette grille de lecture, la solution au « problème sioniste », nouvelle transposition du « problème juif » de Marx, nest autre quune disparition de lentité qui pose problème, lEtat hébreux, bref, sa disparition, car pour les antisionistes radicaux dextrême gauche et arabo-islamiques, cest bien lidée même de lEtat juif-occidental en plain cur du tiersmonde arabe, qui est rejetée. En termes clairs, cest une « nouvelle solution finale » qui est implicitement proposée par les « nouveaux judéophobes », Ben Laden et les Islamistes radicaux étant quant à eux carrément explicites puisquils appellent à « tuer les Juifs et les Croisés américains (al Yahoud wal Salibiyoun) partout où ils se trouvent ». Comme on le voit, entre Rouge et Verts, la convergence idéologique antisioniste et anti-américaine constitue plus quun simple terrain dentente. Elle fonde la crainte de nombreux services de renseignements occidentaux qui redoutent une complicité terroriste entre les réseaux islamistes radicaux et les structures terroristes dextrême gauche de type « néo-brigadistes ».
Gare au « nouveau Munich islamiste »
Il ne faudrait pourtant pas sy méprendre »: « lâcher » Israël ou se désolidariser des Etats-Unis, comme le préconisent représentants occidentaux de mouvances pro-arabes et tiersmondistes, ne calmera pas plus lhydre islamiste que les accords de Munich ne dissuadèrent Hitler de poursuivre ses forfaits. Et ceci pour deux raisons » : premièrement, le totalitarisme islamiste na pas Israël pour seule cible, le monde de la « mécréance ne faisant quun » (millatun kufru wahida) : Inde, Israël, Russie, Union européenne, Etats-Unis sont une seule et même réalité anti-islamique pour les fanatiques dAllah. Deuxièmement, toute désolidarisation au sein du monde occidental, dont fait intrinsèquement partie la société israélienne - plus quà moitié européenne et fondée par des colons originaires dEurope de lEst et centrale - serait perçue, par les Islamistes, comme une marque de faiblesse et un encouragement à redoubler de violence contre les « Judéo-croisés ».
Faudra-t-il que surviennent de nouveaux attentats, déjà redoutés, comme ceux du 11 septembre pour que les Occidentaux réalisent que les fascistes islamistes qui ont frappé Manhattan sont de la même engeance et sont financés par les mêmes émirs saoudo-wahhabites - « amis de lOccident » - que ceux qui sèment la haine et la terreur dAllah au Cachemire, en Tchétchénie ou en Israël ? Faudra-t-il dautres drames encore plus meurtriers pour que lon comprenne le cri du pourtant très pacifiste Shlomo Ben Ami, ancien Ministre israélien des affaires étrangères, lequel nous expliquait récemment que lon ne peut négocier avec des ennemis de la négociation, quIsraël ne pourra rien obtenir de lOLP de Yasser Arafat, tant que ce dernier subira les pressions toujours plus hégémoniques et menaçantes du totalitarisme islamiste, dont les Musulmans, notamment palestiniens, demeurent les premières victimes?
* Alexandre del Valle, géopolitologue, est notamment lauteur de lessai « Guerres contre lEurope », paru récemment aux éditions des Syrtes, où sont décrits les réseaux islamistes terroristes dans le monde et en Europe. Il prépare actuellement un Dictionnaire de lislamisme (Plon) avec Antoine Sfeir et les meilleurs spécialistes français de lislamisme, ainsi que deux nouveaux ouvrages sur le Totalitarisme islamiste face aux démocraties (Syrtes, 2002) et Vert-Brun-Rouge : l islamisme et la convergence des totalitarismes (Syrtes, 2003).