"Rien n'a changé"
Entretien avec Benny Morris
Le quotidien Yedioth Aharonot du 23 novembre a publié dans son supplément « 7 jours » un article sur lhistorien Benny Morris, un des pères fondateurs des nouveaux historiens, ainsi quun entretien intitulé « Rien na changé.»
Voici quelques extraits de larticle et de lentretien :
Le public de linstitut théologique de Berkeley pensait savoir à quoi sattendre. On lui avait promis une conférence sur le processus de paix par le professeur Benny Morris, historien israélien, homme de gauche connu, qui même dans les universités raffinées dIsraël avait du mal à obtenir un poste, à cause de ses opinions inhabituelles, qui réfutent lhistoire officielle du sionisme. Berkeley est toujours le siège de la gauche et du radicalisme américain et tous les participants qui se trouvaient dans la salle étaient persuadés que lorateur dirait exactement ce quils avaient envie dentendre : quIsraël est responsable de tout, quelle est la puissance offensive et méchante, et que les Palestiniens sont les gentils. « Ils sattendaient à entendre une conférence dun universitaire anti-israélien », nous raconte Benny Morris dans un café de Jérusalem, ayant du mal à cacher son plaisir.
Mais M. Morris avait dautres intentions. Il savait parfaitement ce quil réservait à ses auditeurs : une grande, très grande surprise. Depuis les années 30, a-t-il dit, les Palestiniens refusent obstinément tout compromis. Ils ont refusé le plan de partage de la Commission Peel en 1937 ( Etat juif sur 20 % du territoire de la Palestine dans les régions du Sharon et de la Galilée), ils ont rejeté le plan de partage de lONU en 1947 (Etat arabe sur 40 % du territoire), ils ne voulaient rien entendre du plan dautonomie de Sadate et Begin (qui faisait partie de laccord de Camp David et na jamais été appliqué) et ils se sont débrouillés pour ne pas accepter la généreuse proposition faite par Bill Clinton (95 % du territoire de Judée-Samarie). En bref, les Juifs ont toujours accepté, les Arabes toujours refusé, et la culpabilité incombe presque uniquement aux Palestiniens. Cela fait soixante-dix ans quils font des erreurs historiques qui doivent être réparées.
Le mensonge des Palestiniens
Celui qui a eu du mal à trouver un emploi universitaire à cause de ses idées de gauche, dément le fait quil ait changé dopinions. Il affirme avoir toujours pensé de la sorte, mais que personne ne le savait. Même quand il exprimait ses opinions, les journalistes préféraient ne pas le citer. Selon lui cela naurait pas été politiquement correct. Cependant, il avoue avoir engrangé beaucoup de colère contre les Palestiniens durant les deux dernières années. Car ils ont rejeté la proposition de Clinton. Barak aussi a commis des erreurs, mais elles étaient marginales. En gros, Barak avait accepté la généreuse proposition de Clinton, qui exigeait la cession de 95 % des territoires de Judée-Samarie et 100 % de la bande de Gaza ainsi que le partage de Jérusalem. Dailleurs, en ce qui concerne Jérusalem, Morris nest pas daccord avec Barak ; il naurait pas accepté dabandonner le Mont du Temple : « sil y a un peuple qui doit avoir le contrôle du Mont du Temple, cest nous. Mais une injustice sest produite et deux mosquées ont été érigées il y a 1 400 ans sur les décombres du temple et les Arabes possèdent également une partie du Mont du Temple. Jaccepterais un compromis selon lequel Juifs et Arabes auraient le contrôle du Mont du Temple, mais que seuls les Palestiniens aient le contrôle- pourquoi ? En quoi est-ce juste ? » De toutes façons, tout paraît insignifiant face à lerreur de Yasser Arafat qui a rejeté la proposition de Clinton. Morris affirme que : « à cause de leurs erreurs, nous payons en vies humaines, les nôtres et les leurs. »
Le droit au retour
Morris, lhomme qui a évoqué le sujet sur la place publique, a une idée toute arrêtée sur la question. Toute évocation du droit au retour est une catastrophe, une façon de détruire lEtat dIsraël. Même si Arafat accepte quIsraël reconnaisse uniquement sa responsabilité concernant le problème des réfugiés et même sil renonce à lexercice de ce droit, Israël doit refuser la proposition. « Si Israël se reconnaît responsable, des millions de personnes viendront exiger immédiatement leur portion de terrain. A partir du moment où il y aura un droit au retour, il y aura tentative dexploitation et alors il ny aura plus dEtat dIsraël. Il ny aura plus ici dEtat juif. »
Question : Il a été question à Taba quIsraël reconnaisse sa responsabilité quant au problème des réfugiés, sans que les réfugiés intègrent Israël, à part une petite minorité à propos de laquelle une décision devra être prise. Même ceci ne vous paraît pas concevable ?
Réponse : Les Palestiniens ont dit à Yossi Beilin être prêts à toutes sortes de formules concernant les réfugiés, mais ils lui mentent. Ils ne renonceront jamais au droit au retour. Ils ne peuvent se tourner vers leur peuple dans les camps de réfugiés et leur dire : « nous avons renoncé à votre droit au retour. » Ils ne sont pas capables de cela.
Q : Cest pourtant ce qua affirmé Sari Nousseïba, responsable du dossier de Jérusalem auprès de lAutorité palestinienne.
R : Cest une exception et je pense que de telles affirmations mettent sa vie en danger. Il ne fait pas partie des hauts responsables. Je nai pas entendu Mohamed Dahlan, Gibril Rajoub, Abou Ala et leurs semblables sexprimer de la sorte. Et même sils acceptent ce genre de formule à un moment donné, une nouvelle génération dans dix ou vingt ans viendra leur dire quils navaient pas le droit dabandonner.
Q : Pourtant vous êtes la personne qui a révélé aux Israéliens leur responsabilité quant aux problème des réfugiés. Vous leur demandez maintenant de ne pas prêter attention à ce que vous leur avez révélé ?
R : Jai révélé aux Israéliens la vérité sur les faits historiques qui se sont produits en 1948. Mais ce sont les Arabes qui ont commencé à se battre et à tirer. Alors pourquoi devrais-je en porter la responsabilité ? Ce sont les Arabes qui ont initié la guerre, ce sont eux les responsables.
Q : Cela signifie quil faut ignorer cette question dans le statut permanent ?
R : Il faut trouver une solution aux Palestiniens, mais nous ne devons pas reconnaître le droit au retour. Arafat et ses contemporains ne peuvent abandonner leur vision de tout Israël aux mains des Arabes. Parce que cest une terre sainte pour lIslam. Elle était dans le passé aux mains des Musulmans et il nest pas envisageable que des infidèles comme nous habitions cette terre. Ceci étant, même si Arafat signe un accord, étant donné son comportement dans les deux dernières années, jai du mal à croire que lui ou ses successeurs le respecteront.
Q : Parce quils sont Arabes ?
R : Non parce quils sont Arabes, mais parce quils ne comprennent pas que les revendications du camp adverse sont légitimes. Nous comprenons la légitimité de leurs requêtes. Avez-vous jamais entendu un dirigeant palestinien déclarer la légitimité de la revendication juive de tout Israël ? Je nai jamais entendu cela.
Une réalité fluctuante
Cest lannée dernière que Benny Morris est parvenu à cette reconnaissance que le droit au retour empêcherait tout accord éventuel. Quand les pourparlers dOslo ont débuté, au début des années 90, il espérait que cela sachèverait par un accord. Quil y aurait aussi une solution pour le droit au retour. A présent tout sest évanoui. Le professeur de luniversité de Beer-Sheva ressemble plus à un prophète de malheur de droite quà un partisan de gauche.
« Nous ne parviendrons pas à un compromis dans cette génération, dit-il, et je crains que nous narrivions jamais à un vrai accord permanent. Le cur de tout palestinien renferme le désir que lEtat dIsraël nexiste pas. Chez de nombreux dentre eux cela se traduit par quelque chose de plus fort quun simple désir. Selon eux, nous sommes la source de tous leurs problèmes et nous éliminer pourrait les sauver. Leur salut cest toute la Palestine. »
Q : Ne comprennent-ils pas la réalité ? Ne comprennent-ils pas quils essuient sans cesse des échecs à cause de ce refus de faire des compromis ?
R : Chaque peuple a sa façon de comprendre la réalité et leur réalité est très fluctuante. Ils sentent que la démographie finira par vaincre les Juifs dans cent ou deux-cents ans, comme les croisés. Et peut-être les Arabes auront-ils une arme atomique. Pourquoi accepter un compromis aujourdhui, alors quil nest pas juste à leurs yeux ?
Q : Et quand vous entendez des dirigeants palestiniens, comme Abou Mazen et autres, qui affirment être prêts à accepter Israël et à vivre avec, les croyez-vous ?
R : Pas vraiment. Je les crois quand ils applaudissent Ben Laden.