Le jour où la paix est morte
Par Shlomo Ben-Ami, ancien ministre des affaires étrangères.
Propos recueillis par Ari Shavit pour Ha'aretz du 14 septembre 2001.
Que sest-il réellement passé à Camp David ? Comment le processus de paix a-t-il rendu lâme ? Shlomo Ben-Ami, Ministre des Affaires étrangères à cette époque, a consigné le déroulement du sommet jour après jour. Pour la première fois, il ouvre la boîte noire qui révèle le crash mortel amorcé à Stockholm, qui sest poursuivi dans le Maryland et sest achevé à Taba, et dont les échos se font entendre quotidiennement dans les villes dIsraël et de Cisjordanie. Voici lhistoire complète du désastreux voyage vers la fin du conflit, avec toutes les concessions israéliennes et la carte du retrait qui accordait aux Palestiniens près de 100% des territoires, mais quils ont rejeté. Ils voulaient aussi Kokhav Yaïr.
Le charme légendaire de Ben-Ami na pas disparu. Lorsquil est loin de la tension du travail, il est détendu et souriant, et possède un humour captivant. Ses analyses sont profondes et complexes, basées sur de vastes connaissances linguistiques et culturelles. Quand il met ses lunettes de lecture et commence à lire le journal de bord quil écrivait durant ces journées cruciales, il a lair de quelquun qui tente réellement de comprendre, de voir les faits en face.
1. Stockholm : les ententes préliminaires
Q. Quelles furent les hypothèses de base que Barak et vous-même avez emportées avec vous, au printemps 2000, lorsque vous êtes partis pour résoudre le conflit israélo-palestinien ?
Nous avions quelques hypothèses de travail. La plus importante, me semble-t-il, était partagée par les Américains, les Européens et le centre-gauche israélien depuis des années: Oslo avait créé au Proche-Orient une norme internationale rationnelle, fondée sur un échange et qui mènerait tout le monde vers un compromis acceptable. Lhypothèse de travail de tous, y compris dEhoud Barak et de moi-même, était quen 1993, Oslo avait vu naître un embryon dEtat palestinien qui traiterait avec nous comme on traite entre états, selon des normes internationales. Après coup, il est devenu clair que cette hypothèse était fausse, quelle reposait sur une conception erronée des intentions de lautre partie. Il est devenu clair que, pour Arafat, Oslo nétait quun énorme camouflage derrière lequel il exerçait - et exerce toujours - des pressions politiques et terroristes à doses variables, afin débranler lidée même de deux états pour deux peuples.
Q. Revenons au commencement. Lors des premiers entretiens que vous avez eus avec Barak, lorsquil vous a nommé responsable des négociations. A quel type de compromis territorial pensait-il alors ?
- Lors de lune de nos premières rencontres, Barak ma montré une carte où la vallée du Jourdain était incluse dans létat dIsraël, et qui était en fait une sorte de plan Allon très élargi. Il était fier de montrer que sa carte laissait à Israël un tiers du territoire. Si je ne me trompe pas, elle ne laissait aux Palestiniens que 66% des territoires. Ehoud Barak était convaincu que sa carte était très logique, et il a essayé de me convaincre également que quiconque lexaminerait comprendrait quelle constituait une offre très raisonnable. Il planait dans ces sphères avec une sorte de wishful thinking paternaliste et naïf, lorsquil me dit avec enthousiasme : « Regarde, ça, cest un état ! Cela ressemble en tous points à un Etat.». A ce moment-là, je nai pas discuté avec lui. Je ne lui ai pas dit de jeter sa carte à la poubelle, ou quelque chose de ce genre. Mais par la suite, après des entretiens avec des Palestiniens et des discussions internes, il a compris quon ne peut pas présenter une telle carte.
Q. Alors, avec quoi vous êtes-vous présentés pour les négociations ? Quelle était la position officielle israélienne quavec Guilad Sher vous avez présenté aux Palestiniens, lors des entretiens secrets de Stockholm, en mai 2000 ?
- A Stockholm, nous avons étalé sur la table la carte des 88 % -12 %. Nous avions exigé trois blocs dimplantations, (Goush Etzion, Goush Ariel, Goush Otef-Jérusalem (enveloppe de Jérusalem)), ainsi quune permanence de sécurité dans la vallée du Jourdain pour une période de vingt ans. Daprès la carte que nous montrions, la ligne du Jourdain devait rester sous souveraineté israélienne pour empêcher la pénétration darmes et la violation des accords de démilitarisation. À Stockholm, nous étions opposés à lidée déchanges territoriaux. Nous pensions que tous les problèmes devaient être résolus à Gaza et en Cisjordanie.
Q. Comment les Palestiniens ont-ils réagi ?
- Ils nont pas aimé regarder nos cartes. Abou Ala ma dit : « Shlomo, enlève cette carte ! ». En privé, il faisait pression sur moi, disant : « jusqu'où êtes-vous prêts à aller, quel est le pourcentage que vous êtes prêts à céder ? » Mais les négociations que nous avons menées dans la résidence secondaire du Premier ministre suédois, au bord dun lac magnifique, ont été les meilleures que nous ayons connues. Lenvironnement était apaisant, lambiance était bonne et lattitude était pragmatique au point que nous sommes parvenus à écrire le cadre dun accord et à entreprendre de consulter des juristes internationaux sur sa formulation. Le travail effectué dans cette résidence de vacances a été le mieux structuré que nous ayons connu depuis le début du processus. Nous pensions que nous approchions rapidement dune solution, que nous étions proches de la conclusion dun accord de paix israélo-palestinien.
Q. Sur quels points êtes-vous parvenus à un accord ?
- Le mot « accord » est trop fort. Nous ne sommes pas parvenus à des conclusions définitives. Il y a eu entente sur le besoin de constituer des blocs dimplantations et il y a eu entente sur la nécessité, de la part des Palestiniens, de manifester de la souplesse concernant tout ce qui touche à la sécurité. Pour ce qui est des réfugiés, nous avons élaboré le concept dune solution qui envisageait leur intégration dans létat Palestinien, dans leurs pays daccueil et dans de pays tiers, ainsi que la réunion des familles en Israël. En Suède, Guilad Sher et moi-même avions parlé de 10 000 à 15 000 réfugiés qui seraient intégrés en Israël, sur plusieurs années. Abou Ala et Hassan Asfour nont pas accepté ces chiffres, mais ont été prêts en discuter. On avait le sentiment quils feraient un pas vers nous sur la question territoriale également. Lors dune discussion que nous avons eue après Stockholm, à lhôtel Holiday Inn à Jérusalem, où Abou Ala a formellement accepté de céder 4% de la Cisjordanie, on avait le sentiment que laccord était à portée de main.
Q. Et Jérusalem ?
- Nous navons eu aucune discussion sur Jérusalem. Barak sy était opposé. Après coup, je pense que cétait une erreur. Si nous avions discuté de Jérusalem, nous serions arrivés à Camp David mieux préparés. Mais il craignait que, si on apprenait cela, il y ait des réactions publiques, et que la discussion même sur Jérusalem mette son gouvernement en danger. Cest pourquoi, dans les brouillons que nous avions préparés, le chapitre sur Jérusalem est resté vide. Même cela la inquiété. On peut voir sur les documents de la mi-mai la note quil a ajoutée, selon laquelle il préférait que même le nom de Jérusalem ne soit pas imprimé.
Q. Quelle était la situation, après les négociations de Stockholm et avant Camp David ? Si javais posé, en juin-juillet 2000, la question « quels étaient les points sur lesquels on pouvait parvenir à un accord », quauriez vous répondu ?
- Officiellement, nous navons pas bougé de la carte des 88 % -12 % de Stockholm et nous navons pas proposé déchanges territoriaux. Mais dans les discussions en tête-à-tête, jai parlé de 8 à 10 %, et comme je lai dit, Abou Ala avait déjà parlé de 4%. Selon mes informations, Clinton a reçu des Palestiniens lautorisation de céder 2% de plus, donc on pouvait supposer que nous serions prêts à aller au-delà de 90%, que les Palestiniens ne céderaient plus que 4%, et que lon arriverait à un compromis. Sur la question territoriale, Clinton pouvait dire que nous nétions pas daccord sur les frontières définitives, mais que nous létions sur le principe.
Ce qui sest avéré, dans les discussions après Stockholm, cest que les Palestiniens étaient prêts à quelque compromis sur les blocs dimplantations, mais refusaient catégoriquement de céder sur les points concernant la frontière est et la vallée du Jourdain. Ils exigeaient une solution pour la frontière du Jourdain est mais, à ce stade, nous nétions pas prêts à le leur garantir.
Q. Et au sujet de Jérusalem et des réfugiés ?
- Sur Jérusalem il ny a eu aucune discussion de détail. Tout ce que nous avons obtenu était une promesse dArafat, lors dune rencontre à Naplouse, selon laquelle le Mur des Lamentations et le Quartier juif de la Vieille Ville seraient à nous. Il a longuement raconté quil se souvenait avoir joué, dans les années 1930, avec des enfants juifs, à côté du Mur, et il savait donc que le Mur nous appartenait. Quelques Palestiniens ont également fait mention de Guilo, dune manière répétitive qui nous a laissé comprendre quils acceptaient de nous laisser les quartiers juifs dans la partie orientale de la ville. Mais, au sujet des réfugiés, il y a eu un recul entre Stockholm et Camp David. Abou Mazen a convaincu Abou Ala de refuser de négocier sur des chiffres, et de maintenir le débat sur le droit au retour. Lors dune rencontre, Abou Ala est venu avec laccord Beilin-Abou Mazen et a transmis les réserves de ce dernier concernant laccord, en particulier à propos des réfugiés.
Q. Abou Mazen lui-même sétait rétracté, après avoir conclu laccord avec Beilin ?
- Pas uniquement lui. Quand jai demandé à Arafat ce quil pensait de ce document, il a dit « des paroles ! des paroles ! » Il nétait pas prêt à utiliser ce document comme base de départ. Dès le début, les Palestiniens ont refusé daccepter les paramètres les plus fondamentaux sur lesquels il était basé. Cest pourquoi je suis parvenu à la conclusion que lon ne doit plus créer de documents semblables, fondés sur des négociations non officielles. Ils nengagent pas les Palestiniens, qui les utilisent seulement pour exiger de nouvelles concessions.
2. Maryland. Le dernier refus.
Q. A la mi-juillet, le sommet de Camp David était convoqué. Quelles positions avez-vous défendues au début ? Quelle était la position officielle dIsraël ?
- La carte que jai présentée devant léquipe palestinienne, en présence de Clinton, était celle des 88-12. Entre Stockholm (mai 2000) et Taba (janvier 2001), nous navons pas présenté officiellement dautre carte. Nous avons refusé de modifier notre position officielle tant quil ny aurait pas de changement dans les leurs. Mais, officieusement, il était clair que nous étions prêts à nous contenter de 8 à 10%. Nous étions encore opposés aux échanges de territoires, et nous demandions le maintien de notre souveraineté sur Jérusalem. Nous sommes revenus à une proposition consistant dans lextension des frontières de la ville, accordant une partie du territoire aux Palestiniens.
Les Palestiniens, par contre, ont déclaré quIsraël devait commencer par reconnaître les frontières de 1967. Ils étaient très intransigeants sur ce point. Je noublierai pas une réunion en présence de Bill Clinton, Madeleine Albright et Sandy Berger. Jy proposais que lon ouvre le débat sur lhypothèse quIsraël accepte les frontières de 1967, sans que nous nous y engagions formellement. Abou Ala a refusé catégoriquement cette démarche. Il exigeait que lon commence par une reconnaissance officielle des frontières de 1967. Au bout dun certain temps, Clinton sest énervé et a commencé à sen prendre à Abou Ala, lui disant quil ne sagissait pas dun débat à lO.N.U, et que les Palestiniens devaient énoncer leurs propres propositions. Il a crié que personne ne peut recevoir tout ce quil désire, que lui-même aimerait se présenter à une troisième élection, mais il sait que sest impossible.
Il a rougi et finalement est sorti de la pièce en colère. Abou Ala était profondément offensé. A partir de ce moment-là, il na plus rien fait à Camp David, à part se promener dans son scooter.
Q. Les Palestiniens nont pas présenté de contre-proposition ?
- Non. Cest là tout le problème. Il ny a pas eu dautre proposition palestinienne. Il ny en a jamais eu, et il ny en aura jamais. Cest pourquoi les Israéliens se trouvent toujours devant un dilemme : soit-je casse tout et je pars, parce que ces gars-là ne sont pas prêts à faire des propositions, soit-je fais encore une concession, encore un effort. Même chez le plus modéré, arrive un moment où il se dit : Minute ! Les gens de lautre partie ne mettent jamais de point final. Une concession par-ci, une autre par-là, mais ils ne sont jamais rassasiés, ça naboutit à rien.
Q. Y a-t-il eu un moment ou cétait différent, où il semblait à Camp David quon avait réalisé des progrès importants ?
- A un certain moment, alors quil semblait que rien ne bougeait, le président Clinton a pris linitiative dun jeu de simulation qui a duré toute une nuit, jusqu'à midi le lendemain. Le point important était que le jeu nengageait en rien les dirigeants. Y ont participé Guilad Sher, moi-même et Israël Hasson du côté israélien, et Saïb Arekat, Mohamed Dahlan et un avocat, du côté palestinien. Au cours de ce jeu, nous avons proposé, pour la première fois, un compromis sur Jérusalem, selon lequel les quartiers arabes périphériques de la ville seraient sous souveraineté palestinienne, les quartiers à lintérieur de la ville auraient une souveraineté fonctionnelle, la Vieille Ville aurait un régime spécial et le Mont du Temple serait sous tutelle palestinienne permanente. Clinton lui-même était très content de la proposition de Barak, pensant que nous avions fait un pas courageux. Cétait avant quil ait pris ses propres décisions courageuses et il y a eu là un progrès important qui pouvait sauver le processus de limpasse.
Q. Quelle a été la réaction palestinienne ?
- Décevante. Lavocat a dit quils demanderaient aussi une indemnisation pour toutes les années doccupation. Saïb Arikat a émis des propos similaires. Moi, je ne me suis pas retenu et je me suis emporté contre eux. Je leur ai dit que les sionistes qui ont négocié la création de lEtat dIsraël nauraient pas réagi avec une telle nonchalance. « Qui, ici, veut établir un Etat ? » leur ai-je demandé, « nous ou vous ? » Javais un profond sentiment de frustration : en effet, nous sommes au cur dune démarche très créative et très souple, et nous arrivons à un point culminant des négociations, tandis queux ne peuvent pas se libérer de leur besoin dattaquer, de se venger, de leur sentiment dêtre des victimes.
Malgré cela, la suite a été positive. Clinton est allé voir Arafat et a entamé avec lui une discussion très difficile. Cest à ce moment-là quArafat se sentant au bord du gouffre, a finalement fait une sorte de contre-proposition et a dit à Clinton quil était prêt à négocier jusqu'à 8 à 10 % des territoires.
Q. Vous dites que le 16 juillet 2000, dans un entretien avec Clinton, Arafat a accepté de céder 10% de la Cisjordanie ?
- Je cite mon journal du 17 juillet : « Hier, Arafat a présenté à Clinton une contre-proposition. Il est prêt à céder de 8 à 10% des territoires. Il a dit à Clinton quil lui laissait le soin de conclure léchange des terres, et quil était prêt à des arrangements sécuritaires, avec une participation de forces internationales. Selon lui, une solution au problème des réfugiés a été trouvée. Tout dépend maintenant de la question de Jérusalem. Arafat veut une solution qui lui semble acceptable. »
Q. Est-ce à ce moment-là que lon a proposé la formule de Camp David : 9% (des territoires) contre 1% (du territoire israélien souverain) ?
- Cette formule na jamais était incluse dans un document officiel. Mais à partir de la deuxième semaine, elle était dans lair. Elle constituait notre hypothèse de travail, et elle est fondée sur les propos tenus formellement par Arafat et non sur une quelconque machination israélienne. Je me rappelle que le 17, je me suis rendu au bungalow de Barak, et jai rencontré Clinton qui en sortait. Le président ma dit ce que je viens daffirmer, quArafat a envoyé un message proposant de céder 8% en échange dun territoire israélien symbolique du côté de Gaza. Dans dautres entretiens, le même jour, il a dit que « les Israéliens ont réalisé une démarche sans précédent, constituant un véritable progrès, et quil était important darriver à une situation où 80% des colons et une Jérusalem unifiée resteraient sous souveraineté israélienne ». Mais, un peu plus tard, Arafat sest rétracté, ainsi quil la fait savoir dans une lettre à Clinton.
Q. Est ce quArafat ne vous a pas magistralement manipulé pour que vous brisiez le grand tabou israélien sur Jérusalem, en prétendant que ce nest que si vous cédez sur ce point que les autres points de discorde seront facilement réglés et quun accord sera signé ?
- Je ne sais pas. Je ne serai pas surpris du tout si ce quil voulait à ce moment-là était de trouver un moyen déchapper aux pressions américaines. Il a dit alors quelques mots à Clinton, selon lesquels, à son avis, ça ne lengagerait à rien. Même lorsquil était avec nous à Charm El-Cheikh et quil a promis un cessez-le-feu, il a dit quelques mots. Mais il na rien fait.
Q. Pourtant, à la suite de cette dynamique, le sommet de Camp David devient un sommet sur Jérusalem. Vous ne parvenez pas à un accord territorial officiel, vous ne résolvez pas la question des réfugiés. Tout ce que vous faites est de diviser Jérusalem.
- Ce nest pas tout à fait vrai. Il est vrai que sur la question des réfugiés, on a pu noter une régression, mais on avait le sentiment que la question territoriale était près dêtre résolue, quelle ne formait pas le cur du problème. En matière de sécurité, on pouvait également noter un progrès sur beaucoup de sujets qui ont fait avancer le processus, on a peaufiné le concept dune force multinationale. Je naccepte pas lidée quà Camp David nous ayons divisé Jérusalem. La décision sur Jérusalem nest arrivée que cinq mois plus tard, avec la proposition globale de Clinton. À Camp David, nous étions prêts à diviser la ville officieusement seulement, pas officiellement. Le véritable problème était que les Palestiniens nétaient pas prêts à nous y aider. Ils refusaient toute proposition qui pouvait nous aider à sauver la face. Que ce soit sur la question du Mont du Temple, sur celle de la souveraineté, ou sur autre chose. Arafat a refusé toute solution qui ne consistait pas en une division totale. Cest pourquoi même Bob Malley, quon aime tellement citer aujourdhui, ma dit à un certain moment que les Palestiniens voulaient nous humilier : « They want to humiliate you », a t-il dit.
Q. Je comprends quà un certain moment, Barak vous a tous sidérés en proposant de diviser la Vieille Ville en deux quartiers sous souveraineté israélienne et deux autres sous souveraineté palestinienne. Sagissait-il dune idée personnelle, ou était-ce le résultat dune décision commune ?
- Comme je vous lai dit, javais proposé que la Vieille Ville ait un régime spécial. À la suite de cette proposition, le président américain est venu plus tard avec cette idée deux à deux, qui implique en effet un partage de la souveraineté de la ville. Dans une discussion avec Clinton, Barak a accepté cette proposition comme base de négociations. Je me souviens mêtre promené cette nuit-là avec Martin Indyk et tous deux avons dit que Barak était fou. Nous ne comprenions pas comment il pouvait accepter une telle idée. Plus tard jai écrit dans mon journal que tout le monde pense quAmnon Shahak et moi-même sommes en train de pousser Barak vers la gauche, mais quen fait, cest lui qui nous pousse vers la gauche. A ce moment là, au début de la seconde semaine du sommet, il a été beaucoup plus courageux que nous, vraiment courageux. Clinton ma répété à maintes reprises : «Je nai jamais rencontré quelquun daussi courageux ».
Q. Et où tout cela a-t-il mené ?
- Les Palestiniens nont pas accepté la proposition de Clinton sur Jérusalem, et cest pourquoi Barak sest également rétracté. Il a envoyé une lettre furieuse à Clinton, déclarant que le président nexerçait pas de pressions suffisantes sur Arafat. Plus tard Clinton a tenté encore une fois de présenter sa proposition. Jai ici une note écrite de sa main où il me demande si je suis prêt à confirmer laccord de Barak sur ce principe. Jai répondu par la négative. Cette proposition nest plus valable, lui ai-je dit.
Tous ces développements ont mené à une crise profonde, qui a failli mettre fin au sommet avant le voyage de Clinton au Japon. Barak a commencé à ressentir quil navait pas de partenaire, quil était allé plus loin que tout autre Premier ministre israélien, quil mettait sa coalition et sa carrière politique en danger, tandis quArafat ne bougeait pas et refusait dentrer dans le jeu.
Cela a été très pénible pour Barak, vraiment pénible. Après que nous ayons décidé dy rester quand-même, et après le départ de Clinton, il sest isolé dans son bungalow pendant deux jours. Aucun dentre nous ne la vu pendant ces deux jours. Il était réellement déprimé.
Q. Quy avait-il de si difficile pour Barak ?
- Il voulait de toutes ses forces aboutir à un accord. Quiconque en doute ne sait pas de quoi il parle. Je peux vous dire quen décembre, à un stade ultérieur des négociations, il ma dit des choses que je nose pas citer mais qui montrent de la manière la plus dramatique à quel point il voulait un accord, même dans les conditions les plus difficiles. Mais ici, à Camp David, il a découvert soudain que ses hypothèses de base étaient sans fondement, quen réalité il navait pas dinterlocuteurs, quArafat refusait même dentrer dans cette dynamique. Les autres dirigeants du Proche-Orient ne lont pas aidé non plus. Aucun deux na manifesté de grandeur comparable à celle dEhoud Barak. Et pendant ce temps-là on était en train de lassassiner politiquement chez nous. Il était comme une avant-garde qui avance et se retrouve coupée de sa base. Pensez à la force dâme quil lui a fallu pour tenir les propos quil a tenus à Camp David, tandis quen Israël son gouvernement était en chute libre, et quil était presque le seul à y rester. Ce quil a dû supporter à cette époque était presque surhumain.
Q. Mais, au bout de ces deux jours, Clinton est rentré du Japon et les négociations ont repris. Que sest-il passé durant les derniers jours ?
- En fin de compte, vers la fin du sommet, on a discuté la proposition de Clinton, qui consistait à reconnaître une enveloppe extérieure de souveraineté palestinienne, avec le Mont du Temple sous souveraineté israélienne, mais sous mandat palestinien. Cette proposition avait deux variantes : soit autonomie fonctionnelle dans les quartiers internes de la ville et souveraineté palestinienne dans deux quartiers de la Vieille Ville ; soit une souveraineté palestinienne dans les quartiers intérieurs et autonomie fonctionnelle dans la Vieille Ville. Il y avait aussi une troisième suggestion : reporter le débat sur Jérusalem à trois ans.
Cétait la dernière nuit, il était tard. Je me souviens quen sortant du bungalow de Clinton, Barak ma dit que cétait un moment historique. Il ma souvent répété cette phrase. Il était rempli du sentiment de limportance vitale de ce moment. Clinton était en jeans et en sweater léger, il a discuté un moment avec moi et avec Erekat autour de la table en bois, puis il ma demandé si nous étions prêts à accepter sa proposition. Je lui ai répondu que pour la première fois, nous nétions pas prêts à répondre tant quil ny avait pas de réponse palestinienne ; que nous refusions de revenir à la situation où nous étions lorsque nous avions accepté la proposition du partage en quartiers et que les Palestiniens sétaient rétractés. Clinton a trouvé que cétait honnête et na pas fait pression sur moi, mais a envoyé Erekat voir Arafat, Il lui a dit expressément que si Arafat nacceptait pas cette proposition, quil émette une contre-proposition. Clinton promit que dans ce dernier cas, il resterait à Camp David, et le sommet se poursuivrait.
Jétais le seul israélien dans la pièce. Latmosphère nétait pas bonne. Clinton était déjà assez pessimiste. Une heure plus tard, Erekat est revenu avec une réponse négative. Il me semble quil avait aussi une lettre. Jai quitté le président, suis allé voir Barak et lui ai dit quil ny plus rien à faire. Le sommet était terminé.
3. Léchec : Le triomphe du mythe
Q. Alors cétait cela la raison de léchec du sommet de Camp David ? Le rejet palestinien dune proposition américaine sur Jérusalem qui ne leur semblait pas assez satisfaisante ?
- Camp David a échoué par ce quils ont refusé dentrer dans le jeu. Ils ont refusé de soumettre une contre-proposition. Personne ne leur a demandé de répondre par laffirmative à la proposition de Clinton. Contrairement à ce que prétendent certaines personnalités de gauche, il ne sagissait pas dun ultimatum. Ce quon demandait aux Palestiniens était élémentaire : soumettre, ne serait-ce quune fois, leur propre contre-proposition ; ne pas dire continuellement ce nest pas assez bien, en attendant de nouvelles concessions de notre part
Cest pourquoi, cette même nuit, Clinton a envoyé Tenet chez Arafat, pour lui demander de réfléchir encore et de donner sa réponse le lendemain matin. Mais Arafat nen pouvait plus. Les applaudissements de la foule, à Gaza, lui manquaient.
Le lendemain à 9 heures du matin, Arafat, Barak et Clinton se sont rencontrés une fois encore. Nous attendions debout, dehors, priant pour que quelque chose se produise, quArafat reprenne ses esprits au dernier moment. Mais cinq minutes plus tard, ils sont sortis. Cétait terminé.
Q. On entend souvent dire que Camp David a échoué en raison derreurs de tactique dans les négociations et du comportement de Barak, parce quil a humilié Arafat, et la méprisé.
- Je pense que des erreurs ont été commises. La méthode de négociations était erronée. Au lieu de mettre sur pied des groupes de travail qui soumettaient les résultats de leurs discussions à laccord des dirigeants, il aurait fallu créer dabord un sommet entre dirigeants pour informer les groupes des bases sur lesquelles fonder une entente. Il y a eu des occasions manquées. Lorsquil y a eu une percée concernant Jérusalem et sur la concession dArafat, il aurait été judicieux de convoquer les dirigeants pour une sorte de sommet de choc. Mais en fin de compte, le sommet a échoué parce quArafat a refusé de soumettre ses propres propositions, quil na pas réussi à nous convaincre quil y a une limite à ses exigences, alors que nous étions prêts à aller très loin. Lune des choses importantes que nous ayons réalisé à Camp David a été de définir nos intérêts vitaux fondamentaux ; De sortir du discours mensonger de la politique israélienne et de définir ce qui est réellement vital pour nous. Nous ne pensions pas rencontrer les Palestiniens à mi-chemin, ni même aux deux-tiers du chemin. Mais nous nous attendions à les rencontrer quelque part. Et ils lont refusé. Ils ont refusé de nous indiquer où leurs exigences sarrêteraient. On avait limpression quils essayaient de nous entraîner vers un gouffre de concessions sans fin.
Q. Pourquoi navezvous pas suggéré aux Palestiniens de parvenir à un accord partiel ? Lorsquil sest avéré quil était impossible de résoudre les problèmes de base, pourquoi navez-vous pas essayé de parvenir au moins à un arrangement intérimaire ?
- A maintes reprises, nous leur avons proposé un accord partiel sans aborder la question de Jérusalem ni celle des réfugiés. Même durant la dernière nuit nous avons émis cette idée. Les Palestiniens ont refusé. Dune part, ils nétaient pas prêts à faire un compromis sur les problèmes fondamentaux, et encore moins concernant Jérusalem, de lautre, ils nacceptaient pas non plus de parvenir à un accord partiel. Les attaques contre Barak à ce sujet sont des sottises. Je me souviens quà un certain moment jai proposé à Arafat dajourner la question de Jérusalem à deux ans. « Même pas deux heures », ma-t-il répondu en me montrant deux doigts de la main
Q. Et les critiques sur le comportement de Barak ? Na-t-il pas été trop dur avec Arafat ?
- Barak nest pas quelquun de très facile, on ne peut lapprocher affectivement. Il est difficile davoir un contact affectif avec lui. Il est renfermé. Nous sommes tous passés par-là. Mais peut-on réellement penser que si Barak avait été plus gentil avec Arafat, celui-ci aurait cédé sur la question du droit au retour ? Sur la question de lEsplanade des Mosquées ? Je me souviens dun dîner que Barak et sa femme ont préparé en lhonneur dArafat, dans leur maison de Kokhav Yaïr, deux mois après Camp David. Barak y a été chaleureux à un point exceptionnel, vu sa personnalité. Jai alors dit à ma femme Ruthy que Barak désirait tellement un accord quil était prêt à changer non seulement de politique, mais de personnalité. Trois jours après commençait lIntifada.
Q. Racontez-moi quand même quel était le type de relations entre ces deux personnes, durant les entretiens de Camp David ?
- En fait, ils ne se sont jamais rencontrés. Pas vraiment. Il y a eu un dîner que Madeleine Albright a organisé pour briser la glace et où Barak est resté assis comme une statue de sel sans dire un mot, pendant des heures. Cétait très embarrassant. Cela a été lun des moments les plus difficiles, lorsque Clinton était au Japon et que Barak était furieux contre Arafat. Il ne supportait pas cette situation dangereuse, où il dépendait entièrement de cet homme. Je me souviens aussi dune autre occasion où, nous tenant à côté dune horloge qui ne marchait pas, Barak ma dit que si jamais on parvenait à un accord avec ce type-là, il sengageait à faire marcher cette horloge !
Mais il y a quelque chose de plus profond. Barak est un homme rationnel, un cartésien. Et à Camp David il sest avéré quArafat évolue dans la mythologie, vivait dans des mythes. Cest pourquoi ce qui sest produit entre les bungalows en bois et les pelouses du Maryland, a été, en fait, une rencontre entre un homme qui cherche un accord rationnel et un homme qui parle et incarne des mythes. Et cette rencontre na rien donné. Après coup, je pense quelle ne pouvait pas marcher. Aujourdhui je crois quaucun dirigeant israélien rationnel naurait pu arriver à un accord avec Arafat durant ce sommet.
Q. Pourquoi ?
- Arafat nest pas un dirigeant ancré dans le réel. Cest un homme religieux. Il sest toujours présenté comme un Saladin moderne. Cest pourquoi les questions concrètes ne lintéressent pas tellement. À Camp David, il était clair quil ne cherchait pas de solutions pratiques, mais quil se concentrait sur des thèmes mythiques : le droit au retour, Jérusalem, le Mont du Temple. Il planait dans les sphères élevées de léthique islamique, de léthique des exilés et de léthique palestinienne.
Le discours même dArafat nest jamais réaliste. Ses phrases ne sont jamais tout à fait formulées ni achevées. Il utilise des mots, des phrases, des métaphores. Mais il ne présente jamais une position précise. Vous ne pouvez pas sortir de chez lui avec sa position sur tel ou tel sujet. Ce quon trouve chez lui, ce sont seulement des codes. Cest pourquoi, à la fin du processus, vous comprenez tout dun coup que vous navancez pas parce que, en fait, vous négociez avec un mythe.
Q. Mais nous avions réussi dans le passé à conclure avec lui des négociations ?
- Il sagissait de négociations sur des arrangements intérimaires, et un dirigeant de ce genre peut permettre à ses hommes de parvenir à des redéploiements partiels sur 10 ou 20%, parce quil suppose que ce quil nobtient pas aujourdhui, il lobtiendra demain. Là, il peut parvenir à un compromis. Mais lorsquon arrive à la fin du jeu, il se trouve dans une situation de détresse terrible, parce que pour lui, mettre un terme au processus signifie je cesse dêtre un mythe et je ne suis plus que le simple dirigeant dun petit pays. Cest pourquoi plus la proposition quon lui présente est courageuse, plus il est stressé. Cest une sorte de globe-trotter éternel qui a peur, tout simplement, de se retrouver seul face à la réalité et qui prend continuellement la fuite devant les décisions. Je ne connais aucun autre cas, dans lhistoire, de quelquun qui fuit les décisions autant quArafat.
4. Washington et Jérusalem : lensemble des propositions de Clinton
Q . Mais après Camp David, vous navez pas non plus baissé les bras. En août et septembre 2000, les contacts ont continué.
- Bien sûr. Au cours de ces mois-là, il y a eu des dizaines de rencontres, la plupart ont eu lieu à lhôtel King David, à Jérusalem. Les efforts ont porté dans deux directions : nos entretiens avec les Palestiniens, et les entretiens communs avec les Palestiniens et les Américains. Pendant cette période, en fait, nous attendions la préparation dun ensemble de propositions américaines qui devait être présenté aux deux parties. Jai personnellement exercé des pressions sur les Américains au cours de cette période pour les documenter, de rassembler tous les résumés présidentielles notés à Camp David et pour construire une proposition globale.
Les Palestiniens craignaient beaucoup une telle proposition. Ils savaient quils ne lui diraient pas oui, et ils savaient aussi quun « non » de plus leur ferait énormément de mal au plan international. Lors de cette étape, ils étaient déjà en très mauvaise posture. LEurope nous a appuyés, le monde arabe ne les a pas soutenus et ils se sont retrouvés assez seuls. A la veille de lIntifada, leur situation était presque désespérée.
Q. LIntifada était-elle un processus prémédité de la part des Palestiniens pour les faire sortir de la détresse politique dans laquelle ils étaient englués ?
- Non. Je ne leur attribue pas des projets aussi machiavéliques. Mais je me souviens que lorsque nous étions à Camp David, Saeb Erekat a dit que nous avions le temps jusquau 13 septembre. Et je me souviens que lorsque jétais chez Dahlan en août, et que jai parlé, dans son bureau, avec Marwan Bargouthi, il ma dit, lui aussi, que si nous ne parvenions pas à un arrangement jusquà la mi-septembre, ça ne serait pas bon. Dans ses propos, il y avait un ton menaçant qui ne ma pas plu. Alors, lorsque vous remarquez que la violence a éclaté précisément deux semaines après le 13 septembre, cela donne à réfléchir. Une chose est sûre : lIntifada a sauvé Arafat.
Q. Les entretiens qui ont eu lieu en août-septembre ont-ils entraîné des changements dans la position israélienne ?
- Oui. A ce stade, nous parlions déjà dun partage vertical de la souveraineté du Mont du Temple. Le Mont du Temple nétait déjà plus sous souveraineté israélienne et sous contrôle palestinien, mais totalement sous souveraineté palestinienne. Tout ce que nous demandions était la souveraineté totale à lintérieur, les profondeurs du Mont. Mais les Palestiniens ont complètement méprisé notre demande. Ils ont répété à maintes reprises que là-bas, il ny avait rien et quil ny a jamais rien eu. Ils nous ont ainsi dénié le moindre droit sur le Mont du Temple.
Q. Il y a eu un changement en matière de territoire également.
- En septembre, nous avons déjà parlé de 7% au lieu de 2%. Il me semble que nous avons renoncé à notre exigence de souveraineté sur la vallée du Jourdain.
Q. Quand cela sest-il passé ? Quand la décision de renoncer à la souveraineté sur la Vallée du Jourdain a-t-elle été prise ?
- Je ne sais pas exactement. Mais à la suite des conclusions de Camp David sur les arrangements de sécurité et sur la force multinationale, nous avons eu limpression dêtre parvenus à des solutions qui sauvegarderaient nos intérêts de sécurité les plus vitaux, même sans avoir la souveraineté. Il est clair que notre exigence de souveraineté dans la vallée du Jourdain est une chose que les Palestiniens ne supportent pas.
Q. Avez-vous tracé de nouvelles cartes ?
- Comme je vous lai dit, nous navons pas montré de nouvelle carte aux Palestiniens jusquà Taba. Mais nous avons travaillé, en interne, sur des cartes qui exprimaient les nouvelles proportions. Et lorsquon a déclaré de manière absurde que nous proposons des cantons aux Palestiniens et quils nont pas de continuité territoriale, je suis allé voir le président Moubarak et lui ai montré une carte. Je crois quil sagissait encore de la carte des 8%, la carte des 8. Moubarak la examinée avec intérêt et a demandé expressément pourquoi ils disent quils nont pas de continuité territoriale.
Q. Tout au long de cette période, les Palestiniens nont-ils pas montré leur propres cartes ? Ny a-t-il aucune proposition géographique palestinienne ?
- Ils nont jamais montré de carte. Pas avant Taba. Mais à Camp David, jai eu, en effet, loccasion de voir une certaine carte palestinienne. Cétait une carte qui montrait une concession de leur part de moins de 2% contre un échange de territoire dans la proportion 1 :1. Mais les territoires quils nous demandaient, ils ne les voulaient pas dans les dunes de Haloutza, ils les voulaient à proximité de la Cisjordanie. Je me souviens que selon leur carte, Kokhav Yair, par exemple, était censé faire partie du territoire de lEtat palestinien. Ils revendiquaient la souveraineté sur Kokhav Yaïr.
Q. LIntifada a gelé les négociations, mais en novembre-décembre, lorsque la violence sest déchaînée et que la période des élections sannonçait, les entretiens ont redémarré. Quelle en a été la teneur ?
- Elles ont porté en particulier sur Jérusalem. A ce stade, nous avions déjà accepté le partage de la ville et lentière souveraineté palestinienne sur le Mont du Temple (le Haram el Sherif), mais nous avons insisté pour que soit reconnu notre attachement au Mont du Temple. Je me souviens que lorsque nous avons mené des entretiens avec Yasser Abed Rabo, Saib Erekat et Mohammed Dahlan, sur la base aérienne de Bowling, jai émis, de ma propre initiative, la proposition suivante : la souveraineté sur le Mont du Temple sera palestinienne, mais les Palestiniens sengageraient à ne pas y faire de fouilles, parce que ce lieu est sacré pour les Juifs. Ils étaient daccord pour ne pas faire de fouille, mais en aucun cas, ils nacceptaient cette phrase minimale : « parce que ce lieu est sacré pour les Juifs. »
Ce qui ma indigné, en particulier, ce nétait pas seulement le fait quils aient refusé, mais la manière dont ils ont refusé. Avec un parfait mépris. En manifestant du mépris, de la supériorité et un dénigrement absolu. A ce moment-là, jai compris quils nétaient pas comme Sadate. Quils nétaient pas prêts à faire un pas vers nous, pas même au niveau émotionnel et symbolique. Ils ne sont pas prêts, en profondeur, à reconnaître que nous avons de quelconques droits.
Q. Le 20 décembre 2000, Clinton vous a réunis à la Maison Blanche et vous a montré les grandes lignes dun arrangement. Quelles étaient-elles ?
- Plus de 90%, mais moins de 100%. 80 pour cent de résidents juifs sur le territoire israélien souverain, des arrangements de sécurité dans la Vallée du Jourdain, un régime spécial pour la Vieille Ville, pour le Mont du Temple : une solution respectant lattachement juif.
Q. Trois jours plus tard, le 23 décembre 2000, les entretiens de Bowling ayant pris fin, Clinton vous a de nouveau réunis et vous a présenté ses paramètres restreints. Quelles étaient-elles ?
- Environ 96%, 97 % de la Cisjordanie plus 1% du territoire israélien souverain, ou 94% de la Cisjordanie, plus 3% du territoire israélien souverain. Et pourtant, du fait que Clinton ait inclus également dans ses propositions la sécurité de passage sur lequel la souveraineté israélienne est légère on peut affirmer que les Palestiniens ont reçu presque 100%. Clinton a formulé sa proposition de sorte que, si lattitude des Palestiniens était favorable, ils pourraient présenter cette solution devant leur public comme solution « à 100% » .
Q. Et Jérusalem ?
- Comme cela a été publié : ce qui est juif resterait israélien, ce qui est arabe appartiendrait aux palestiniens. Le Mont du Temple est sous souveraineté palestinienne, tandis quIsraël reçoit le Mur occidental et le Saint des Saints. Et pourtant, Clinton na pas abordé en détails la question de la zone sacrée, ni de toute la région en dehors de la Vieille Ville, qui inclut la ville de David et les Tombes des Prophètes en direction du Mont des Oliviers. Nous avons revendiqué cette région, qui ne comporte presque pas dArabes, et les Palestiniens ont refusé. Au cours de la nuit, il y a eu un échange téléphonique très vigoureux entre Barak et Clinton à ce sujet, parce quon craignait quil prenne une décision à notre encontre. En résultat de cet entretien, la question est restée en suspens. Clinton ny a pas fait référence.
Q. Et les réfugiés ?
- Là, le président a tenté la quadrature du cercle. Il a fait des pas en direction des Palestiniens jusquà lextrême limite de ce que nous pouvions accepter. Il a décidé que « les deux parties reconnaissent le droit des réfugiés à retourner dans la Palestine historique » ou « de retourner dans leur patrie », mais, dautre part, il a précisé que « il ny a pas de droit à un retour spécifique vers Israël ». Nous étions satisfaits du fait quil ait parlé de la solution des 2 Etats, en ce sens que lEtat palestinien est la patrie du peuple palestinien et quIsraël est le foyer du peuple juif. Le mécanisme auquel il se référait était plus ou moins celui de Stockholm. Il oblige à labsorption dun certain nombre de réfugiés en Israël mais cela est assujetti à ses lois souveraines et à sa politique dabsorption de limmigration.
Q. Quen est-il de la question des arrangements de sécurité et de la démilitarisation?
- Nous avons exigé que lEtat Palestinien soit un Etat démilitarisé. Le Président a proposé un terme plus nuancé : « Etat non militarisé ». De même, il a décidé que nous aurions une présence militaire significative dans la vallée du Jourdain pendant trois ans et une présence symbolique dans des sites déterminés pendant trois années de plus. On nous a donné trois postes de surveillances pour une période de dix ans, avec la présence dofficiers de liaison palestiniens.
Q. Est-ce que lutilisation, par les Palestiniens, de chars, davions et de missiles a été expressément interdite ?
- Non. Pour autant que je sache, nous ne sommes pas parvenus jusquà ces détails. Chez Clinton, ils ne sont certainement pas mentionnés. Mais lintention était bien celle-là.
Q. Quen est-il des droits aériens et des droits concernant leau ?
- Les Palestiniens ont refusé dentrer dans le débat sur la question de leau. Donc, Clinton na pas du tout traité cette question. Concernant lespace aérien, les termes employés étaient « lusage agréé ». Clinton a décidé que la souveraineté sur lespace aérien est palestinienne mais il a reconnu le droit dIsraël de lutiliser selon ses besoins en manuvres et ses besoins opérationnels, et à condition toutefois que cet usage soit agréé. Lidée était que lune des façons possibles de le faire résidait dans la réciprocité. En donnant aux Palestiniens le droit dutiliser, à des fins non militaires, lespace aérien israélien.
5. Taba : enfin une carte !
Q. Quelle a été la réaction israélienne à lensemble des paramètres proposés par Clinton ? Barak les a-t-il acceptés de bon cur ?
- Le président a fait une déclaration adressée aux Palestiniens et à nous-mêmes, dans la salle de réunion contiguë au bureau ovale de la Maison Blanche. Cétait un shabbat. Je me souviens que je suis allé à pied de lhôtel à la Maison Blanche, et au retour également. Clinton nous a expliqué que la proposition des paramètres nétait pas une proposition américaine mais sa manière de comprendre où se situe le point médian entre les positions. A présent, tout dépendait de la décision des dirigeants, dit-il, et il a demandé à être informé de cette décision dans les quatre jours.
En moins de 24 heures, jai exposé les paramètres à un forum composé de Ehoud Barak, Yossi Sarid, Yossi Beilin, Shimon Pérès, Dany Yatom, et, bien entendu, Guilead Sher. Pour je ne sais quelle raison, ce débat a eu lieu au camp de Shraga, sur le Golan. Daprès mes souvenirs, latmosphère était assez bonne. Jai noté dans mon journal que Pérès a parlé de manière positive. Sarid et Beilin, bien entendu, lont appuyé. Mais cela na été facile à aucun dentre nous. Personne nen est sorti triomphant. Ehoud Barak, en particulier, était grave. En fin de compte, nous avions tous le sentiment que nous avions fait ce quil fallait. Que nous avions mené le processus jusquà son terme ! Nous sommes allés jusquà lextrême limite du possible. Au bout de trois jours, le gouvernement a décidé de répondre à Clinton par laffirmative. A part Matan Vilnaï et Raanan Cohen, tous les ministres ont été daccord. Nous avons informé les Américains que notre réponse était : oui.
Q. Et les Palestiniens ?
- Arafat ne sest pas dépêché. Il est parti voir Moubarak, a participé à toutes sortes de commissions interarabes et a traîné les pieds. Il na même pas répondu aux appels téléphoniques de Clinton. Le monde entier, vraiment, le monde entier a exercé sur lui de fortes pressions, et lui a refusé de dire oui.
Au cours de ces dix jours, il ny a quasiment pas eu un seul dirigeant international qui ne lui ait pas téléphoné. Du duc du Lichtenstein au président chinois. Mais Arafat est resté sur son quant à soi. Il sen est tenu à sa méthode de fuite. Finalement, avec beaucoup de retard, ses hommes ont transmis à la Maison Blanche sa réponse qui comportait de grands « non » et de petits « oui ». Bruce Reidel, membre du Conseil de sécurité nationale ma dit « quon ne sy trompe pas, Arafat a, de fait, dit non ».
Q. Mais Israël a également émis des réserves.
- Cest vrai. Nous avons transmis aux Américains un document de quelques pages comprenant des réserves. Mais pour autant que je men souvienne, elles étaient mineures et concernaient principalement les arrangements de sécurité, le terrain du redéploiement militaire et le contrôle des points de passage. Il y a eu également des éclaircissements concernant notre exigence de souveraineté sur le Mont du Temple, mais il ne faisait aucun doute que notre réponse était « oui ». Le 29 novembre, pour enlever tout doute possible, jai téléphoné à Arafat sur la directive dEhoud Barak et je lui ai dit quIsraël approuvait les propositions de Clinton ; que, selon nous, tout nouveau débat devrait avoir lieu uniquement dans le cadre de ces paramètres et ne porter que sur la manière de les mettre en uvre.
Q. A la lumière de tout ceci, y avait-il encore une raison daller à Taba ? En effet, vous êtes allés jusquà votre extrême limite et les Palestiniens nen ont pas été satisfaits. Quels points restait-il encore à aborder ?
- La vérité est que cest exactement ce que pensait Ehoud Barak. Il ne voulait pas se rendre à Taba. Mais à ce stade, nous étions sous la pression du calendrier. Nous étions à un mois des élections et lors dune réunion à laquelle jassistais, il y avait un ministre qui a menacé Barak que sil nallait pas à Taba, il le traiterait publiquement de lâche qui refuse de faire la paix. Barak na donc pas eu dautre choix que daller vers quelque chose qui, au fond de lui-même, le révoltait.
Q. Alors, de quoi avez-vous parlé à Taba ? Qavez-vous obtenu de plus ?
- Nous avons insisté que dans aucun domaine nous nengagerions de nouvelles négociations sur les paramètres de Clinton, et ne discuterons que de leur mise en oeuvre. Les Palestiniens, en revanche, ont essayé duser les paramètres. Ils ont essayé de nouveau dexercer des pressions sur nous. Concernant Jérusalem, ils nont pas accepté lidée du Saint des Saints qui apparaît expressément chez Clinton. Concernant les réfugiés, ils ont proposé une formulation qui disait quils avaient leur propre lecture de la résolution 194 et que les Israéliens en avaient une autre, mais « nous devons établir le droit au retour et ensuite discuter du mécanisme » (« we have to establish the right of return and then discuss the mechanism »). Leur exigence fondamentale de reconnaître le droit au retour et de ne débattre quensuite des détails de lapplication ma exaspéré pas moins que lorsquils ont rappelé des chiffres, ici et là.
Q. Quels chiffres ont-ils rappelé ?
- Je nétais pas assis en face deux lors de la négociation sur la question des réfugiés, à Taba, mais dans différents textes qui étaient diffusés à Taba, il y avait des chiffres extraordinaires. Que dites-vous de 150 000 réfugiés par an pendant dix ans ?
Q. Et quavons-nous proposé ?
- Beilin ma dit quil avait proposé 40 000. Je ne sais pas si cest le chiffre exact, mais si oui, il est sûr quil nétait pas possible de conclure une tractation sur cette base, à moins de laisser pendante la décision sur le chiffre définitif en fonction de futures exigences.
Q. A Taba, vous avez déjà montré aux Palestiniens une nouvelle carte. Quel genre de carte était-ce ?
- Vous pouvez la voir ici. Le brun-moutarde est palestinien, le blanc est israélien, elle représente une proportion de 94,5% contre 5,5%. Et cétait avant les échanges territoriaux.
Q. Etes-vous parvenus à une conclusion concernant les échanges territoriaux ?
- Non. Il sest avéré que les Palestiniens napprécient pas lidée des Dunes de Haloutza. Moi non plus, cela ne menthousiasme pas. Je considère cette région comme le dernier point dimplantation sioniste à lintérieur de la Ligne verte. Cest pourquoi nous avons examiné la possibilité de transférer des territoires au sud du Mont Hébron, au nord de Arad. Mais cela a été très difficile. Un demi pour cent par-ci, un quart par-là. Je ne suis pas du tout sûr que lidée soit réalisable. Peut-être la seule méthode est-elle de déplacer la frontière avec lEgypte vers lest et de donner un territoire égyptien aux Palestiniens, à proximité de la bande de Gaza. Mais ni eux ni nous navions envie de parler de cela devant les Egyptiens.
Q. Selon cette carte, Israël doit supprimer une centaine dimplantations ?
- Je ne connais pas le chiffre exact. Mais il est question de supprimer de nombreuses dizaines dimplantations. A mon avis, cette carte ne réussit pas non plus à atteindre lobjectif auquel nous voulons parvenir et pour lequel nous avions le consentement de Clinton 80% des résidents en territoire israélien souverain.
Q. Les Palestiniens ont-ils accepté cette carte ?
- Non. Ils ont montré une contre-carte qui grignotait complètement ces trois maigres blocs et qui les dépouillait, en fait, de toute notion de bloc. Selon leur carte, ne restaient sur le sol que quelques implantations isolées reliées par une sorte détroite route en lacets. Le calcul que nous avons fait chez nous a montré que tout ce quils acceptaient de nous donner était de lordre de 2,34%.
Q. Pendant tout ce processus, entre juin et janvier, au moment où vous avez renoncé à la Vallée du Jourdain, où vous êtes tombés daccord sur les échanges territoriaux, où vous avez partagé Jérusalem et avez transmis le Mont du Temple, tout ce que le mouvement palestinien vous a concédé a consisté en miettes, tout ce quils ont ajouté à la caution de 2% quils ont transmise dès le début à Clinton est de 0,34%.
- Il mest difficile dêtre en désaccord avec vous. Mais cest exactement la raison pour laquelle la critique de la gauche à notre égard me laisse bouche bée. Fondamentalement, je ne la comprends pas. Il est cependant vrai que Barak et moi-même avons un peu été des marginaux de la gauche. Nous navons pas fait partie des professionnels de la paix. Aucun de nous deux nest un faiseur de paix professionnel. Mais regardez où nous sommes parvenus. Dites-moi ce que nous aurions été censés faire de plus.
6. Fin du voyage : le désenchantement
Q. Shlomo Ben Ami, vous et Ehoud Barak êtes sortis dune sorte de voyage au centre de la terre. Au cur même du conflit. Quavez-vous découvert ?
- Je pense que nous avons découvert plusieurs choses qui nont rien de simple. Tout dabord concernant Arafat. Jai découvert quil na pas de stratégie définie. Il na pas daptitude à renvoyer à ses partenaires israéliens lidée que leurs concessions a une quelconque fin. Ce qui donne limpression que son but nest pas la fin du conflit mais sa poursuite. Sa stratégie est celle de la confrontation.
Q. Selon vous, cela signifie-t-il quil nest déjà plus un partenaire ?
- Arafat est le chef des Palestiniens. Cest un fait que je ne peux pas changer. Cest leur malheur à eux. Jai appris de ma mère un proverbe arabe : « Suis le menteur jusquà la porte de sa maison » ; et je peux vous dire que nous avons suivi Arafat jusquà la porte de sa maison et ce que nous avons découvert, cest quArafat nest pas un menteur. Au contraire, il adhère tellement à sa vérité quil ne peut pas la trahir ni faire de compromis. Mais sa vérité est celle de léthique musulmane, de léthique de la condition de réfugié, et le sentiment dêtre une victime. Et cette vérité ne lui permet de conclure des négociations avec nous que si Israël se brise la nuque. Donc, en ce sens précis, Arafat nest pas un partenaire. Pis que cela : Arafat est une menace stratégique. Il met en danger la paix au Proche-Orient et la paix du monde.
Q. Il ne reconnaît toujours pas à Israël le droit dexister ?
- La concession dArafat à Oslo, face à Israël, était une concession formelle. Dun point de vue conceptuel, il naccepte pas lidée de deux Etats pour deux peuples. Cest pourquoi je parviens à la conclusion quil peut, peut-être, faire avec nous quelque accord partiel et temporaire, - et jai des doutes même sur cela - mais, profondément, il ne nous accepte pas. Ni lui ni le mouvement national palestinien ne nous acceptent.
Alors si vous nous demandez ce que nous avons découvert, eh bien je crois que cest cela. Ce que Ehoud Barak et moi-même avons soudain vu, cest ce bloc de granit devant lequel le processus de paix sest échoué. Et ce nest pas une affaire de territoires en échange de la paix. Ni une affaire dhypothèses de Madrid. La question qui reste posée, cest de savoir si les Palestiniens reconnaissent le droit à lexistence dun Etat juif démocratique dans cette partie du monde.
Q. Vous êtes critique non seulement vis-à-vis dArafat personnellement, mais aussi vis-à-vis du mouvement national palestinien en général ?
- Oui. Dun point de vue intellectuel, je comprends leur logique. Je comprends que, de leur point de vue, ils ont renoncé à 78% à Oslo, et cest pourquoi tout le reste est à eux. Je comprends que, selon eux, le processus est celui dune décolonisation et cest pourquoi ils ne sont pas prêts à faire des compromis, de même que les habitants du Congo nont pas fait de compromis avec les Belges. Je comprends même que, daprès eux, ils ont fait un pas vers nous en ceci quils ont accepté les quartiers juifs à Jérusalem et une partie des implantations. Mais en fin de compte, au bout de huit mois de négociations, je parviens à la conclusion que nous nous trouvons dans une confrontation avec le mouvement national (palestinien) qui comporte des composantes pathologiques graves. Cest un mouvement très triste, un mouvement tragique. Et au cur de cette tragédie réside une incapacité à se fixer des objectifs positifs. On a limpression quils ne veulent pas dune solution, ils veulent mettre en fait Israël sur le banc des accusés. Plus quils ne veulent leur propre Etat, plus ils veulent condamner le nôtre. Au sens le plus profond, leur éthique est une éthique négative.
Cest la raison pour laquelle, contrairement au sionisme, ils ne sont pas capables de faire des compromis. Parce quils nont pas de conception de la future société quils veulent avoir, et pour laquelle il vaudrait la peine de faire des compromis. Cest pourquoi le processus, pour eux, nest pas celui de la conciliation mais celui de la vindicte. De la réparation dun tort. De la contestation de notre existence en tant quEtat juif.
Q. Vous êtes parvenu à ces dures conclusions au cours de vos entretiens ?
- Je pense quil y a eu un phénomène cumulatif. Il y a eu un certain nombre de moments qui mont poussé à aboutir, en fin de compte, à la conclusion que les Palestiniens laissent toujours « pendre des fils » non pas en raison dun projet fondamentalement malveillant, mais afin de laisser ouverte la possibilité que quelquun, à lavenir, attrape un bout du fil et essaie deffilocher lEtat juif.
Je me souviens de trois moments comme ceux-là. Le premier, lors dun entretien avec Abou Mazen à Camp David. Yossi Guinossar et moi-même sommes allés le voir un soir. Nous nous sommes assis avec lui sur son lit et il a parlé aimablement et avec sensibilité de la question des réfugiés. Mais, plus il parlait, plus je me rendais compte quil était impossible de parvenir avec lui à une formulation définitive ou à un chiffre définitif. Impossible de recevoir de lui une conception claire de la manière dont cela se terminera.
Quelques mois plus tard, en décembre, il y a eu des entretiens avec Arafat, à Gaza, où je lui ai expliqué pourquoi la société israélienne était unie dans son opposition au droit au retour (des réfugiés palestiniens). Jattendais de lui quil dise quelque chose qui nous apaiserait et nous soulagerait. Mais il sest contenté de sortir de sa poche un article de journal bien connu où il est écrit que 50% des immigrants de Russie ne sont pas juifs. Il ne sest même pas donné la peine dessayer de nous faire des concessions verbales.
Mais le plus dur a été la réaction dArafat aux propositions de Clinton. Parce que là, nous sommes réellement parvenus à lextrême limite de nos possibilités. Et nous y sommes parvenus avec un gouvernement sans assises parlementaires et populaires, dans le contexte de lIntifada et dun commandement militaire qui nous critiquait. Dans cette situation, la seule issue, pour un dirigeant palestinien pourvu dune vision à long terme et désireux de parvenir avec nous à un arrangement, aurait été de nous dire bien fort « oui ». Ni en bégayant, ni en murmurant. De prononcer un « oui » retentissant. Si, fin décembre, Arafat avait prononcé un « oui » retentissant, il aurait sauvé le gouvernement Barak et la paix.
Q. Il a vu que vous vous enfonciez et il na pas remué le petit doigt ?
- Il nous a vu sombrer et il a vu la paix sombrer, et le temps sécouler. Ce nest qualors que jai compris clairement que, pour lui, les négociations ne se termineraient que lorsque Israël serait brisé.
Q. Cest-à-dire que lépreuve critique a eu lieu non pas à Camp David mais autour des paramètres de Clinton ?
- Evidemment ! Jusque là, on pouvait prétendre que nous nen avions pas donné assez. Mais après la proposition globale de Clinton, à lépoque de Taba, on en était déjà à 100% du territoire. Et il fallait être sourd et aveugle pour ne pas savoir que Barak allait perdre les élections. Il fallait être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que tout allait à labîme. Et malgré tout, ils nont pas bougé. A Taba non plus. Une proposition idéale est étalée sur la table, mais, pour les Palestiniens, il ny a pas le feu.
Je me souviens les avoir regardé, là-bas, à Taba, et je me suis dit que je ne voyais pas sur leur visage le moindre sentiment tragique. Je ne voyais pas dans leurs yeux la douleur dune occasion manquée. Pour moi, cétait terrible. Et cest resté gravé en moi. En fin de compte, cest ce qui ma conduit à réviser mes positions. A faire une réévaluation.
Q. Vous vous êtes engagé dans une révolution idéologique ? A la suite de léchec de votre cheminement vers la paix, vous êtes parvenu à des conclusions de droite ?
- Absolument pas. Je crois toujours que nous ne pouvons pas gouverner un peuple étranger. Cela na marché nulle part et cela ne marchera pas ici non plus. Et je nai pas non plus changé davis au sujet des implantations. Il était très audacieux dinvestir notre énergie nationale dans une entreprise dimplantation aussi hasardeuse, au milieu de la population arabe. Aujourdhui encore, je crois que la création dun Etat palestinien est une obligation morale et politique. Mais aujourdhui, je sais aussi quil nous faut construire un nouveau paradigme. Dans un certain sens, il faut refaire la gauche. Ne pas se dissimuler ce que nous avons découvert des positions palestiniennes et islamiques qui contestent notre droit à lexistence. Et ne pas poursuivre une culture de pressions qui pourrait nous conduire au suicide. Mais sarrêter là où nous sommes parvenus avec Clinton et essayer de mettre en oeuvre cette solution avec laide de la communauté internationale. Et ne plus renoncer au patriotisme juif et israélien. Comprendre que la faute nest pas toujours de notre côté. Dire : ça suffit ! Et si lautre partie veut aussi détruire cette base minimale, j'insiste: je défendrai cette base minimale.